Catégories : Memoire

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Par Webmaster FNDIRP

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Django Reinhardt, au milieu, Louis Armstrong et Stéphane Grappelli à droite, en 1948.

 La Libération de Paris. Les troupes américaines sont accueillies dans l’enthousiasme. On danse en plein
air au son des orchestres de jazz, de l’accordéon avec une prédominance pour le swing. La mémoire des contemporains est là pour en témoigner. « In The mood » reste la trace de l’époque. La fête folle commence.

Django Reinhardt, au milieu, Louis Armstrong et Stéphane Grappelli à droite, en 1948.

Django Reinhardt, au milieu, Louis Armstrong et Stéphane Grappelli à droite, en 1948.

Les musiciens américains pourtant n’ont qu’un désir exprimé sur tous les tons : « Où est Django ? ». Tous veulent rencontrer le « Manouche » pour jouer avec lui. Django influence tous les guitaristes de la nouvelle génération en même temps que Charlie Christian – un météore – qui a per- mis le développement de la guitare électrique. Ces références se retrouvent dans le jeu de Jimmy Raney, de Joe Pass, d’Oscar Moore, pour en citer quelques-uns et même dans le blues avec B.B. King. Pour le dire en peu de mots : Django est un génie qui a transformé l’art de la guitare et du jazz tout entier. Il est le créateur du « jazz manouche » qu’il faudrait plutôt nommer « jazz Django » avec le quintette du Hot Club de France, avec Stéphane Grappelli au violon. Un quintette qui a fait des émules partout dans le monde. Dans tous les pays, il existe des quintettes « à la mode » du Hot Club de France. Ils se réunissent tous les ans dans un pays différent.
Cette descendance n’épuise pas les dimensions de l’art de Django. Il outrepassera ses propres limites tout au long de sa vie. En 1953, à la veille de sa mort, il en fera en- core la démonstration avec Deccaphonie, laissant sur le côté les jeunes musiciens qui participent à cette création, Martial Solal en particulier.
Il a toujours su se renouveler. Ses compositions pendant la guerre s’éloignent des canons du jazz dit « manouche ». Chaque fois – écoutez Rythmes futurs de 1941 – il se refuse à se copier. Julio Cortazar, dans L’Homme à l’affût, faisait dire à sa figure de Charlie Parker, Johnny Carter, horrifié, « Je l’ai déjà joué demain » pour signifier que la répétition, c’est la mort, même demain ! Django, « J’éveille » en français, tenait à son surnom. Qu’il a abondamment mérité. Il a éveillé des générations de musiciens. Il a fait germer d’autres créations, d’autres di- rections, d’autres recherches. La rencontre avec sa musique est un moment intense qui laisse toujours rêveur quant à la capacité de faire surgir l’inattendu dans le pourtant « déjà entendu mille fois. »

Une jeunesse dans la « zone »

Baptiste Reinhardt, pour l’état civil, est né en 1910 à Liberchies, en Belgique, le 23 janvier. « Django » naîtra un peu plus tard. Il y faudra des drames, des rencontres
et un choc esthétique. Pour avoir une idée de l’ambiance de ses jeunes années, pas très documentées il est vrai, l’œuvre, en bande dessinée, de Efa et Rubio : Django Main de feu (1) réunit les éléments essentiels. Très tôt, Django a conscience de ses capacités, de son talent. Au banjo-guitare – un banjo ténor – il éclipse tous les autres. Il a, dès ce jeune temps, une confiance en lui-même qui lui restera toute sa vie. Il vit dans la « zone », un territoire étrange aux portes de Paris, sans aménagements collectifs.
Le 26 octobre 1928 – il a donc dix-huit ans, déjà une vedette – l’incendie de sa roulotte le conduira vers de nouvelles routes, de celles qu’il faut tracer soi-même à l’aide de quelques balises. Il lui faudra une incroyable foi en lui- même pour conserver sa main et sa jambe gauche, pour résister aux chirurgiens qui veulent l’amputer. Deux doigts de sa main gauche resteront paralysés. Il inventera une technique singulière pour jouer de la guitare en abandonnant définitivement le banjo et le bal musette. Sorti des hôpitaux, il pour- suivra son travail de musicien. Il devait re- chercher quelque chose, le « je-ne-sais-quoi » dont parle Jankélévitch pour qualifier la trace du génie. Il le trouvera par l’intermédiaire d’Émile Savitry, d’abord peintre puis photographe, ami des frères Prévert. Rencontre sur la Côte d’Azur, pas encore le piège à touristes d’aujourd’hui mais paradis des casinos et des cabarets. Savitry voyage. Il est souvent à New York.

Comme beaucoup d’intellectuels, il est saisi par le jazz. Il a rapporté des États-Unis les premiers 78 tours de Louis Armstrong dont ce chef-d’œuvre intégral West End blues de juin 1928. Des disques non distribués en France, étiquetés « Race Series », un segment du marché réservé aux ghettos noirs des grandes villes américaines. Une clientèle spécifique. Les « Race Series » ne sont, en général, pas disponibles autre part que chez les disquaires des ghettos noirs. Il faudra les conséquences de la crise de 1929, les faillites, pour que les grandes compagnies distribuent massivement ces enregistrements.
Peu de collectionneurs possèdent, par exemple, les disques sur le label Okeh de Louis Armstrong. Il a donc fallu la rencontre avec Savitry pour que Django entende le message de Satchmo. Il y est immédiatement sensible. Savitry racontera que Django pleure en écoutant les onze secondes d’introduction a cappella du trompettiste. Il a trouvé sa voie. Comme tous les génies du jazz, à commencer par le « père » du saxophone ténor, Coleman Hawkins, il puisera à la source « armstrongienne » de quoi nourrir sa propre musique.

Le génie Django

Il fallait tous ces accidents, tous ces hasards nécessaires pour qu’il devienne « Django Reinhardt, prince du jazz ». Ne lui manquait plus qu’un partenaire, qu’il trouvera en 1934 dans les endroits chics où il gagne sa vie tout en la perdant dans les casi- nos, en la personne de Stéphane Grappelli. D’abord pianiste, il passe au violon pour jouer dans les cours – une habitude qui s’est perdue avec les tours dépersonnali- sées – et pouvoir manger.
Une rencontre musicale amoureuse. Le duo dans le jazz est important. Il permet de faire surgir l’étincelle qui manquait. Comme le dira « Dizzy » Gillespie, trompettiste, à propos de sa coopération avec Charlie Parker, le créateur du be-bop : « J’avais déjà mon style, il avait déjà le sien mais l’asso- ciation a permis de donner le coup de pouce pour le faire changer de catégorie. Pour lui permettre d’accéder au génie. »
Dans tous les duos, il en est un qui est frustré. Celui qui n’arrive pas à quitter la terre, qui a le sens des « réalités », celui qui prend deux desserts – Grappelli prend le temps de faire sa valise et… se retrouve bloqué à Londres au moment de l’entrée en guerre de la France, Django prenant le dernier bateau. L’autre, Django, habite le pays des rêves, de l’imagination où rien n’a d’importance sauf la musique.
En 1943, à Thonon-les-Bains, il tentera de composer une messe pour les Tsiganes morts dans les camps de concentration : Requiem à mes frères tziganes (2). On en reconstituera quelques bribes sans que la partition soit totalement retrouvée. Christian Escoudé, notamment, essaiera d’en donner une version, sans arriver à convaincre. Il y manque la ferveur de ces années d’après-guerre.

Django Reinhardt, Volume i, «War Clouds», 1940,Jazz Time.

Django Reinhardt, Volume i, «War Clouds», 1940, Jazz Time.

Partition d’Echoes of France (La Marseillaise), 1946, de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli.

Partition d’Echoes of France (La Marseillaise), 1946, de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli.

À la Libération, Django refusera de refaire le quintette avec Stéphane. Il veut s’échapper une fois encore. Il enregistre avec lui, pourtant. Notamment cet Echoes of France pour fêter leurs retrouvailles. Derrière ce titre se cache La Marseillaise, un hommage à la France. Les deux compères, contents de se retrouver, se déchaînent, swinguent tant et plus. Comme souvent, les bonnes âmes ne comprendront pas. Le titre, en- registré par le label Swing, sera banni de la radio française. Django passera à la guitare électrique qu’il illumine, une fois encore.
La fin des années 1940 verront Django devenir peintre et toujours pêcheur. Pêche à la mouche est l’une de ses compositions de ce temps. Il sera « percuté » par le be-bop. Lorsque Charles Delaunay, rédacteur en chef de la revue Jazz Hot, créateur, en 1937 du label « Swing », recevra les premiers disques du tandem Parker-Gillespie, Django les entendra rue Chaptal, siège de la revue, où il dort de temps en temps, comme tous les autres jeunes musiciens. Son oreille lui dira que Koko cache le standard Cherokee, au grand dam de tous les participant(e)s.
Il se lancera dans ce nouveau pays, le be-bop, pour l’habiter, lui donner une consistance spécifique. Django s’entourera de jeunes musiciens pour lui donner l’envie, pour le titiller et le forcer à être, une fois encore, le meilleur. Persuadé qu’il était, d’en avoir les moyens et cette confiance en lui – une fois encore – lui a permis de soulever des montagnes.
Sa mort, à quarante-trois ans, d’une hémorragie cérébrale, le 16 mai 1953, à Samois- sur-Seine, pouvait seule arrêter la route d’un des grands génies du XXe siècle. Un génie européen, tel que le jazz sait les sus- citer, les mettre en valeur. Son héritage est énorme et pas encore totalement exploité. Le jazz manouche est très loin d’épuiser le génie de « celui qui voulait éveiller. »
Nicolas Béniès

(1) : Django Main de feu. La jeunesse de Django Reinhardt, Efa/Rubio, Aire Libre Dupuis, 2020.
Django Main de feu
(2) Cet épisode au cours duquel le guitariste a fui l’invitation du régime nazi, cherchant vainement à passer en Suisse, a fait l’objet du film Django (2017) d’Étienne Comar, avec Réda Kateb. Une reconstitution de cette œuvre y est exécutée par Warren Ellis, avec David Reinhardt, petit-fils de Django.

• À lire absolument •
– Les livres de Patrick Williams, aux éditions Parenthèse, dont Django (janvier 1998) : https : www.editionsparentheses.com/
django.
– Nicolas Béniès, Le souffle de la liberté, 1944, quand le jazz débarque. 2014, C & F éditions, et Le souffle de la révolte 1917-1936, quand le jazz est là, 2018, C & F éditions.

• À écouter •
Ni plus ni moins que l’intégrale publiée par Frémeaux et associés, 20 volumes en forme de coffret de deux CD avec un livret dû à la plume de Daniel Nevers. Vital ! À chaque fois Django vous donnera des
frissons. Garanti ! https:www.fremeaux.com/index.php? option=com_virtuemart&page=shop. browse & category_id.=57&Itemid=321

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